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77ème lettre fictive 42ème LETTRE DU POILU EMILE SEMPOUDRIO

Lettre retrouvée mais non datée

 

Monsieur le curé,

 

Bonjour mon ami,

 

Depuis tout le temps que je vous écris, jamais encore je ne vous ai dit bonjour, je crois.

 

C’est que depuis que je vous écris, nous sommes en guerre et que le seul vrai bonjour qui soit sera celui de la paix.

 

J’en ai comme un aperçu aujourd’hui. Nous venons tout juste d’arriver. Nous sommes provisoirement cantonnés à l’arrière, dans un petit village qui ne semble pas victime de toutes les atrocités que nous avons déjà vécues.

Les maisons sont debout, entièrement debout et habitées. Les champs, les bois aux alentours, sont propres, entretenus et respectés. Les hommes et les femmes y travaillent normalement.

Il n’y a pas ces fumées et ces odeurs âpres de poudre, de gaz ou de putréfaction.

Des gamins sortent de l’école en riant.

 

Vous savez, Monsieur le curé, on se dirait ici dans un pays en paix… si nous n’étions pas encore couverts de boue et de sang… si nous n’étions pas chargés d’armes et de vocabulaires militaires. Ces mots de notre quotidien qui font fuir les honnêtes gens.

 

Nous venons d’arriver pour quelques jours. Ici, nous n’entendons même pas les hurlements des canons.

Les chants des oiseaux, les appels des vaches et des moutons, les grenouilles dans les mares, la cloche du village, le vent dans les feuilles, la chorale dans l’église, le lait qui gicle dans le pot pendant la traie, les portes qui s’ouvrent et qui se ferment, libérant ou confinant des bouts de vie… tous ces bruits d’une banalité campagnarde sont des instants précieux que j’avais oubliés.

 

La paix, je l’attends. Je m’y active ; parfois en tendant un bout de pain et un peu d’eau à un prisonnier ; parfois en tuant deux ennemis au cours d’une attaque. Mon ami, je sais que ces mots sont durs à lire pour vous, mais tuer ou se faire tuer, c’est pour nous une logique implacable.

Je ne sais pas quelle est, quelle sera la meilleure façon d’obtenir la paix. Y-en-aura-t-il une, d’ailleurs ? A la fin, il n’y aura que des perdants, des infirmes, des endeuillés, des morts et des esprits de vengeance.

 

Ce dont je suis sûr, c’est que je n’en reviendrai pas tout à fait humain. Je ne ferai pas carrière militaire. Ca, c’est sûr !

Mais je ne retournerai pas dans la vie civile telle que je l’ai quittée… enfin, tout ça, Monsieur le curé, c’est si je reviens.

 

N’allons pas trop vite en besogne et profitons de l’instant.

 

Aujourd’hui, mon ami, je vais bien. Il fait beau. Il fait bon vivre.

 

Je vous souhaite de bons jours

 

Prenez bien soin de ma famille, Monsieur le curé.

Dîtes à mes parents, ma sœur et mon frère, que je les aime. Rassurez-les toujours, quoi que je puisse vous confier.

 

Monsieur le curé, prenez soin de vous. Priez pour eux, pour mes camarades, pour notre patrie. Si votre dieu aime les hommes, qu’il les aide à retrouver la paix.

 

Votre ami, Emile SempoudrioPEOFI 01597 IMG_20210106_0003

 

 



01/03/2023
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