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79ème lettre fictive de poilu / 44ème lettre du poilu Emile Sempoudrio

Bonjour,

 

Je vous envoie aujourd’hui cette 79ème lettre fictive de poilu.

C’est la 44ème Lettre fictive du poilu Emile SEMPOUDRIO au curé de son village Les Clouzeaux en Vendée.

Mais en fait, c’est la première lettre qu’Emile a écrite au curé. Il en a écrit une autre mais, pris dans le tourbillon de cette tempête effroyable, il a perdu ses courriers. Ils ont été retrouvés en juin 1916 sur le corps d’un poilu enterré à la va-vite près de Fère-Champenoise. Le destinataire clairement identifié, les courriers ont été envoyés au curé des Clouzeaux.

 

Prenez soin de vous et de vos proches,

 

Amajyp           85 Saint Florent des Bois

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Lettre retrouvée datée du 10 septembre 1914

 

Monsieur le curé,

 

Tout d’abord, je ne sais pas si vous lirez un jour cette lettre et les suivantes parce que j’hésite à vous les envoyer. Je ne suis pas une de vos ouailles. Je ne suis pas de ceux qui entrent dans une église facilement. Encore moins de ceux qui se confient à dieu. D’ailleurs, je ne pense pas être croyant, au grand regret de ma mère.

 

Je ne pense pas être proche de vous… et pourtant, depuis ces quelques jours que je suis parti à la guerre, j’éprouve le besoin de raconter ce que je vis, ce que nous vivons, mes camarades et moi. J’envoie des petits mots à mes parents et à ma fiancée, Pauline, que vous connaissez parce qu’elle travaille dans la ferme de ses parents et qu’elle, contrairement à moi, obéit à sa mère et va à la messe chaque semaine. Mais ces petits mots sont presque des mensonges. Ce sont des lignes pour les rassurer, bien loin des lignes de front sur lesquelles s’entassent des corps de jeunes hommes.

 

Monsieur le curé, je vais faire comme si vous acceptiez ma correspondance. Je vous raconte la vraie guerre que nous vivons.

 

Il y va de la vie comme il y va des poussières. Un changement de temps suffit au trouble.

Rassemblés dans ce petit camp de fortune, entre Broyes et Allemant. Broyes et Allemant, deux noms qui résonnent ce matin dans nos têtes comme cette terrible bataille des Marais de St Gond. Effectivement, dans ces marais, l’armée Française broye l’Allemand mais au prix de quels sacrifices humains ? Mais Paris est sauvé s’écriera le Général Gallieni.

 

Nous sommes des gars d’un peu partout dans ce camp. Nous avons été appelés à la rescousse, en marche forcée pendant 3 jours pour atteindre ces marais où la bataille faisait rage depuis la veille.

L’armée Française a vaincu les troupes d’élite allemandes grâce à nous et aux taxis de la Marne, l’idée géniale du Général Gallieni.

 

Nous sommes des rescapés, des survivants.

Nous sommes 4 Vendéens dans ce groupe.

François Arrivé et Auguste Billaud, des gars de St Florent que je venais à peine de retrouver, sont tombés dans cette bataille.

 

Nous nous sommes couchés, épuisés, dans le noir, dès que nous sommes arrivés dans le camp. Des gars frais montaient la garde. Ils n’ont pas participé à ces combats donc ils sont en meilleure forme que nous… normalement.

A priori, il n’y a plus rien à craindre par ici. L’ennemi a fui assez loin de nos positions.

 

Ce matin, je me suis réveillé courbaturé et affamé. Heureusement, les gens du village nous ont apporté du café et du pain. Ca fait du bien ! On se sent soutenu.

Je me suis réveillé au milieu d’inconnus et pourtant des frères d’armes. Nous nous sommes protégés les uns les autres sans savoir qui nous étions. De nos vies, de nos opinions, de nos familles, de nos amours… de nos prénoms même, nous ne savions rien mais nous étions unis pour repousser l’Allemand qui s’apprêtait, comme dans chaque coin qu’il envahissait, à massacrer tout sur son passage.

 

Parmi ces frères d’armes, il y a un gars de presqu’ici. Il est de Fismes (ça se prononce Fime). Ce matin, il a vidé son sac, enfin, il s’est confié.

Il a participé aux combats, comme nous, mais son esprit était ailleurs. Il y a quelques jours, il a appris que sa femme avait été emportée par une maladie qui ne se soignait pas. Elle était de son âge et ils s’aimaient depuis toujours. Il ne s’imaginait pas vivre sans elle, surtout si jeune. Lui, dans cette guerre, il pouvait mourir, mais elle…

Le gars était d’un malheureux inconsolable. Nous le regardions, bien tristes pour lui mais nous ne savions pas quoi dire. Nous nous sommes regardés et Arnaud m’a pris dans ses bras.

J’en ai encore les larmes aux yeux, Monsieur le curé.

Tous les gars sont venus lui donner l’accolade.

Frères d’armes, c’est presque un oxymore, comme aurait dit mon professeur de lettres. Et pourtant là, ce duo de mots prenait tout son sens.

 

Hier, nous avons vécu des horreurs. Les combats ont été très durs et beaucoup de gars sont tombés. Je dirai que nous sommes tous tombés et que bien peu se sont relevés.

Les marais étaient ruisselants de rouge ; le rouge des pantalons de nos gars et le rouge du sang de tous.

Nous récupérons aujourd’hui pour mieux mourir peut-être demain.

 

Vous comprendrez, Monsieur le curé, en lisant ces pages, que j’ai besoin de raconter. C’est vital !

J’espère avoir le courage, rapidement, de vous envoyer ces lettres. Pour l’instant, écrire me soulage un peu mais je suis sûr que de savoir que je suis lu et que quelqu’un me répond après m’avoir lu me fera vraiment du bien.

 

Il y va de la vie comme il y va des poussières. Un souffle ici, un spasme là… et entre deux un chemin bien étroit.

 

Monsieur le curé, j’espère que vous m’accompagnerez dans cette campagne de défense.

Prenez soin de vous et de ma famille.

 

Emile Sempoudrio des Clouzeaux, Vendée

IMG_7005 79eme lettre

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28/08/2023
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